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Frasils et trous chauds
poezie [ ]

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de [Françoise_Bujold ]

2015-05-08  | [Acest text ar trebui citit în francais]    |  Înscris în bibliotecă de Guy Rancourt






Dans le détroit de Béring valsaient les icebergs
nous touchions ce paysage de Vikings
habitions-nous des îles ou des archipels
nous en avons perdu la mémoire

de l’île au rivage nous voyons des bateaux
avec des patins pour traverser
de l’île au rivage
frasils et trous chauds n’étaient pas nos ennemis

au printemps nous faisions baptiser les enfants
enfants en toute santé au rivage pour la première fois
serons-nous longtemps hantés par tous ces enfants des autres

mystiques ou saints
nous traversions des nuits noires de graffitis
couchés sur des feuilles vierges
à la craie noire sur les trottoirs le printemps
sur les murs de briques l’hiver

nos frères adolescents dansaient sur les glaces
venues du large
allaient à l’extrême limite pour casser la glace
sauter sur une autre glace recommencer le manège
de quoi inquiéter les parents

nous étions givres et fougères dans nos fenêtres
je titube à ta vue telle une ballerine à ses premiers pas
regarde-moi bien dans les yeux
valsons comme nos frères adolescents sur les glaces
du détroit de Béring
pendant que le fleuve pénètre la mer

faisons encore neiger

ce n’était pas un amour feluette
tu ne flanchais pas je ne flanchais pas
ce n’était pas un mirage dans un désert de cuivre

mais la messe de l’aurore ne se disait pas pour nous
taillons-nous de l’ouvrage pour l’hiver

en avril ne te découvre pas d’un fil
nous n’avions pas le rictus amer
nous avons effeuillé toutes les marguerites de la terre
pour savoir si nous allions nous marier
rester fiancés car l’éternité est de mica
nous deviendrons nos propres joailliers
dans l’espoir d’une fin du monde qui va nous ressusciter
tu ne flanches pas je ne flanche pas
je fais danser tous mes amants sur le toit d’une grange

ne jamais avouer un grand amour surtout s’il vient de ta jeunesse

nous descendrons encore dans les cheminées
dans les granges
les animaux s’agenouilleront à minuit le vingt-cinq décembre

nous sommes des autochtones et regardons ensemble
l’étoile du nord
le vrai diamant

1979


(Françoise Bujold, Piouke fille unique, Montréal, Éditions Parti Pris, 1982, pp.155-157. Initialement paru in Estuaire no 15, mars 1980)

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