Tu diras à nos mères que leur premier sourire est venu trop tôt, hélas, comme les départs de l’enfant grandi trop vite ! Nous sommes pareils à des bulles de savon si grosses et si hautes frôlant les nuages avant de disparaître dans une explosion silencieuse.
Lorsque tu fermeras les yeux, tu verras ton fils danser sur les clôtures de perche, ramasser des cailloux gros comme des œufs de caille et roupiller sur un matelas de feuilles mortes en automne.
Puis, laissons l’enfant grandir et devenir sérieux comme un petit homme sage, peut-être, voyant et visionnaire. Qui sait ? Après la catastrophe et cette fin du monde que tous prédisent, viendra sûrement un monde nouveau, plus humain et plus fraternel. Une humanité meilleure, en somme !
Le soleil est levé ou est-ce la terre qui a tourné ? Qu’importe ! Un jour nouveau est né et toutes les cités monstrueuses ont disparu sous les eaux. Mais qui a causé tout ce déluge ? Un cataclysme ? La fonte des glaciers ? La collision avec un astéroïde ? Nul ne le sait. Les Fils et les Filles de la Liberté sortent de leur cachette et abri. Une nouvelle fraternité naît. On se parle, on discute, on rigole et on joue ensemble. On loge sous le même toit, on travaille en chantant et on partage tout. Cette planète serait-elle devenue un grand jardin ? Une piste de danse ? Un gala de fête ?
Que voit-on au juste ? Tout a changé si vite ! Les oiseaux n’ont plus peur de voler et les lièvres folâtrent dans les sentiers en toute liberté car les fusils se sont métamorphosés en branches de thuyas et de noisetiers ! Lacs, rivières, fleuves et océans redeviennent purs comme du cristal avec des couleurs bleu-vert, les nuages, blancs duvets pareils à des plumes de colombes naviguent dans le ciel clair et sans taches, les champs se gonflent de pâturage et les forêts reverdissent de plus bel.
Les enfants s’amusent et ne craignent plus les adultes, les jeunes filles apprennent à danser en toute sécurité sous les reflets de clair de lune et les jeunes garçons ont troqué leurs armes pour des cithares et guitares. Puis, les personnes âgées se font dorloter et gâter par leurs enfants et petits-enfants. L’ère des faux-prophètes et des bien pensants semble révolue. Dans ce nouveau monde, la joie se marie à la vie, le bonheur parfume nos journées et l’amour semble être notre nourriture quotidienne.
-« Poète, tu rêves ! Réveille-toi ! » entendis-je au loin.
Pourtant, je le sais, je ne dormais point. Mes yeux voyaient tout cela. Se peut-il que cet univers n’existe que dans ma tête ? Tout n’est-il qu’illusion ? Et l’espoir dans tout cela ? Est-ce un rêve si fou que d’imaginer un monde meilleur ?
Est-ce croire en l’utopie que de vouloir créer un univers où tous les humains seraient parfaitement heureux et libres ? Oui, je m’accroche corps et âme à ce mince espoir… quitte à passer pour un rêveur ou pour un cinglé du chaudron !

(Toile d'Henri Rousseau dit Le Douanier, Le Rêve)