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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2012-11-28 | [This text should be read in francais] |
Il existe une part de vérité chez tous les grands penseurs. Mais ils ont dû fouiller le tout pour la débusquer. C’est ce qui fait d’ailleurs que, dans leurs écrits, la démarche soit tout aussi spectaculaire que la trouvaille. C’est ce qui fait aussi qu’aucune contestation n’enlève quoi que ce soit à la grandeur de leur recherche, et qu’elle ne serve le plus souvent que de voie d’accès à une vérité autrement partielle, et non moins troublante.
Pourquoi face au temps et à l’espace ? Parce que seule une confrontation avec le temps et l’espace peut aider à déloger une part, quelque minime qu’elle soit, de la vérité que l’univers garde jalousement. Pour commencer, nous allons nous interroger avec Aristote et Saint –Augustin sur l’existence du temps et ses propriétés. Nous nous rapporterons pour cela au livre IV (ch. 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20) de la Physique d’Aristote et au livre XI ( ch. 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 23, 24, 26, 27, 28) des Confessions de Saint Augustin. La question du temps chez Aristote La nature du temps aristotélicien est contradictoire. Chose divisible, le temps ne coïncide jamais avec lui-même, car il est ce qui n’est plus, le passé, et ce qui n’est pas encore, l’avenir. Le temps est à la fois étant et non étant. La perception du temps chez Aristote passe par la perception du mouvement. Et implicitement du changement, car pour lui le mouvement et le changement sont le plus souvent équivalents. La conception du temps aristotélicien est dite cosmologique parce qu’elle repose sur le mouvement circulaire régulier, celui de la sphère céleste. Le temps dans son rapport au mouvement (et au changement) Le temps n’est pas le mouvement. Le mouvement est dans la chose qui se meut, ce qui fait qu’il y a autant de mouvements que de choses qui se meuvent. Le temps, par contre, est le même pour toutes les choses. Le mouvement peut être plus rapide ou plus lent. Le temps est ce par quoi on détermine la lenteur ou la rapidité du mouvement. Le temps est la mesure du mouvement, et par l’intermédiaire du mouvement, la mesure de toutes les choses mues. Le temps n’est pas non plus le mouvement circulaire, de la shère du monde. Car „ s'il y avait plus d'un ciel, le temps serait de même le mouvement de chacun de ces cieux ; et, par conséquent, il y aurait plusieurs temps à la fois.” (ch. 15, p 4. ) Mais le mouvement de la shère du monde, qui est uniforme, sert à mesurer et à compter le temps. Car „…comme toute chose se compte et se mesure par une seule et unique chose du même genre qu'elle, les unités par une unité, les chevaux par un cheval, etc.; de même le temps se compte et se mesure par un certain temps déterminé ;” (ch. 20, p. 7) Le temps et le mouvement s’impliquent l’un l’autre : le mouvement implique la grandeur de la chose qui se meut, le temps implique le mouvement. On peut ainsi dire qu'il y a beaucoup de temps, s'il y a beaucoup de mouvement et, réciproquement, qu’il y a beaucoup de mouvement, s'il y a beaucoup de temps. Cette implication fait que nous percevons ensemble le mouvement et le temps « …s’il y a quelque mouvement dans notre âme, nous avons aussitôt la perception d'un certain temps écoulé. Réciproquement, dès l'instant qu'il y a du temps, du même coup qu'il y a aussi mouvement. » (ch. 16, p. 2) Le temps dans son rapport à l’instant (ou au maintenant) Le temps n’est pas l’instant. Le temps est corrélatif du déplacement, l’instant est corrélatif du corps déplacé. Le temps est le nombre du déplacement, l’instant, à l’instar du corps déplacé, est l’unité du nombre. Mais comme le nombre du déplacement et le nombre du corps déplacé n’existent pas l’un sans l’autre, il en est de même pour le temps et l’instant. L’instant n’est pas une partie du temps non plus, car „l’une de ces parties a été et n'est plus, l'autre doit être et n'est pas encore” (ch.14, p. 2), ce qui veut dire que le temps lui-même n’est pas. L’instant est la limite entre le temps passé et le temps à venir. En tant qu’il continue le temps, il est toujours le même, en tant qu’il le divise, il est toujours autre. Le temps, est ce qui est limité par l’instant, est le nombre du mouvement par rapport à l'antérieur et au postérieur. Aristote explique la propriété de l’instant d’être même et autre par le fait que l’instant est corrélatif du corps qui se meut. Et ce corps, à un moment donné, est le même, mais comme il se meut dans un lieu et puis dans un autre, il est autre. Il en est de même pour l'instant qui, en un sens, est toujours le même, et, en un autre sens, il ne l'est pas. Si l'instant n'était pas autre, il n’y aurait pas de temps. Mais s’il était autre et que nous ne nous en apercevions pas, pour nous il n’y aurait pas de temps. La propriété de l’instant d’être autre est la condition de la succession du temps et de la perception de la durée. L’instant aristotélicien est une sorte de gage de la présence du temps. Le temps dans son rapport à l’âme La perception du temps écoulé passe par la distinction entre l’antérieur et le postérieur dans le mouvement, distinction qui suppose qu’il y a eu un certain mouvement dans notre âme et, dans la pensée que notre âme renferme, un certain changement : „…lorsque nous n'éprouvons aucun changement dans notre pensée, ou que le changement qui s'y passe nous échappe, nous croyons qu'il n'y a point eu de temps d'écoulé.” (ch.16, p 1) „…il suffit qu'il y ait quelque mouvement dans notre âme, pour qu'aussitôt nous ayons la perception d'un certain temps écoulé.”(ch.16, p. 2) Mais le temps peut exister sans l’âme qui le perçoit. Pour le prouver, Aristote met en avant le fait que le nombre est aussi bien ce qui est compté que ce qui sert à compter. Ainsi, l’âme n’interviendrait-il que pour compter le temps, alors que le temps serait ce qui est compté, autrement dit, l'antérieur et le postérieur dans le mouvement, „en tant qu'ils sont numérables”. La question du temps chez Saint-Augustin Saint-Augustin, cet autre grand concepteur du temps, réfute le temps cosmologique pour se livrer à une analyse du temps intérieur. La théorie du triple présent à laquelle il aboutit repose sur la distension de l’âme, cet effort que l’esprit fournit lors de l’attention, de la mémorisation et de l’anticipation, et qui est la véritable mesure du temps. La double aporie du temps Le passé, l’avenir et le présent n’existent pas, car le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore et le présent n’est pas toujours présent, mais les événements qui se sont passés, les événements qui peuvent arriver et les événements qui arrivent existent pour nous. Enfin, un présent qui serait toujours présent ne serait pas du temps, mais de l’éternité. L’être des trois moments du temps Nous ne pouvous voir que ce qui est. Et ce qui est n’est ni passé ni à venir mais présent. Il n’existe en fait que trois présents: le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Et ce mode de présence existe dans l’esprit, étant donné que le présent du passé correspond à la mémoire, le présent du présent à l’attention actuelle et le présent de l’avenir à son attente. La mesure du temps Nous mesurons le temps mais ce n’est ni le passé, qui n’est plus, ni l’avenir qui n’est pas encore, ni le présent, qui tend à ne pas être. Ce que nous mesurons c’est le passage du temps, c’est l’impression que les choses, par leur passage, ont fait naître dans notre esprit. Cette impression, qui conjugue passivité et tension, fait qu’un long avenir soit une longue attente de l’avenir, un long passé, un long souvenir du passé. Discussion Le présent ponctuel ou le présent élargi Il y a le moment où quelqu’un ou quelque chose agit et le moment où quelqu’un d’autre ou quelque chose d’autre reçoit l’action. Ces deux moments doivent être simultanés, pour la simple raison qu’on ne peut recevoir l’action de quelqu’un ou de quelque chose avant qu’elle ait été faite, ni après qu’elle a été faite. Avant, on peut l’anticiper à partir de certains signes, après, on peut réaliser l’avoir déjà reçue. Il y a ainsi un double présent, le présent de l’action et le présent de la réception de l’action Une action, d’autre part, est formée d’une série d’actes et peut, à son tour, entrer dans la formation d’un processus. La réception du processus suppose la réception de chacune des actions qui le compose et, a l’intérieur de chaque action, la réception de chaque acte. Ainsi, au temps de déroulement du processus correspond le temps de sa réception, et à l’intérieur du processus, au temps d’accomplissement de chaque action correspond le temps de sa réception. Et il en est de même pour chaque acte qui constitue l’action. La réception correspond ainsi à une structure à plusieurs niveaux de présence. Cette structure, qui concilie coexistence et succession, conforte l’idée de la distension de l’âme de Saint Augustin et ne justifie pas les doutes qui transparaissent dans ce passage d’Aristote « …si coexister chronologiquement et n'être ni antérieur ni postérieur, c'est être dans le même temps, et, par conséquent, dans le même instant, „…et si les faits antérieurs et les faits postérieurs coexistent dans l'instant présent, alors il faut admettre que ce qui s'est passé il y a dix mille ans, est contemporain de ce qui se passe aujourd'hui ; et il n'y a plus rien qui soit antérieur et postérieur à quoi que ce soit.”(ch.14, p.8) Mais l’instant aristotélicien, en tant qu’unité du nombre, ne manque pas d’épaisseur non plus „…car le temps est le nombre du déplacement; et l'instant, ainsi que le corps déplacé, est en quelque sorte l'unité du nombre.” ( ch. 17, p3) Le temps objectif ou le temps subjectif Il est possible que moi, par exemple, je ne perçoive pas l’action faite par quelqu’un ou par quelque chose, soit parce que cette action n’est pas dans mon champs de réception, soit parce que je n’ai pas la disponibilité requise. Il suffit en fait que l’une de ces deux conditions ne soit pas remplie pour que j’échoue dans la réception de l’action. Prenons les actions suivantes: une personne appelle au secours, un poêle émane du monoxide de carbone, une personne attend derrière la porte d’entrée de mon appartement L’appel au secours, je peux ne pas le recevoir parce que je ne suis pas dans le champ d'émission de cet appel. Est-ce qu’on peut dire pour autant qu’il n’y a pas de réception correspondant à cet appel? Tout d’abord, il y a la personne qui lance l’appel et qui, simultanément, le reçoit, ce qui lui permet d’ailleurs de lancer un deuxième et, peut-être, un troisième appel. Ensuite, dans l’espace autour de cette personne, il y a l’air qui reçoit l’appel et le propage. L’onde sonore, de son côté, est reçue par les autres corps de l’environnement, proche ou lointain, selon la force de l’appel Supposons maintenant que je suis dans le champ d'émanation du monoxide de carbone. Cette émanation, je ne la sentirai pourtant pas. Et ce ne sont pas les propriétés du gaz qui sont en cause, mais le fait que moi, comme tous les humains d’ailleurs, je n’ai pas la disponibilité requise pour le détecter. Le monoxide de carbone, je le reçois quand même, mais à un niveau auquel il peut être mortel pour moi. Mon chien a la disponibilité requise pour détecter une odeur qui pour moi reste imperceptible. Il flaire ainsi la présence de la personne qui attend derrière la porte d’entrée de mon appartement, alors que moi je continue de vaquer tranquillement à mes affaires. Rien ne peut être présent sans faire sentir, d’une façon ou d’une autre, sa présence. Autrement dit, il n’y a pas d’action sans réception correspondante. Au présent de l’action, qui est objectif, correspond le présent de la réception, qui est subjectif. Et on peut parler de subjectivité dans le cas des choses « inanimées » aussi, étant donné qu’elles aussi peuvent être compatibles avec certaines actions et incompatibles avec d’autres. Pour Saint Augustin, le temps est dépendant de l’esprit : „…ce triple mode de présence existe dans l’esprit; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’attention actuelle; le présent de l’avenir, c’est son attente.” (ch. XX, p.26) Et pourtant Saint Augustin ne revoit dans le présent l’image de son enfance évanouie qu’au moment où il y pense ou il en parle. Or parler est une action et, de même, penser, étant donné que penser veut dire parler avec soi. D’où l’on voit que le présent du passé, qui est subjectif, n’est que le contrepoint du présent de l’action qui est objectif. Pour Aristote, le temps a une existence objective, indépendante de l’esprit ou de l’âme. Aristote prétend ainsi parler « du temps considéré en lui-même ». En realité, son analyse du temps s’appuie largement sur le temps subjectif. Et il ne peut en être autrement, vu que le temps objectif pour nous, et donc dans sa relation avec nous, a sa part de subjectivité. Le mouvement de la shère céleste ou les tours de la roue du potier On peut se demander s’il est fondé de qualifier d’objectif le temps de l’action, étant donné que l’action est l’expression de la subjectivité. Il est fondé, sans aucun doute, car l’action, tout en étant dictée de l’intérieur, s’exerce sur un autre objet de l’extérieur. Reste encore à préciser ce que l’on entend par extérieur. L’extérieur par rapport à la Terre est l’espace autour de la Terre, l’espace du système solaire avec tout ce qu’il comprend, l’extérieur par rapport à nous est l’espace autour de nous, l’espace terrestre avec tous ce qu’il renferme. L’extérieur par rapport à notre foie est l’espace autour du foie, et donc notre milieu interne avec tout ce qu’il comporte. L’extérieur par rapport à une cellule de notre foie est l’espace autour de cette cellule, et donc l’intérieur du foie, avec tout ce qui le compose, et ainsi de suite. L’extérieur est toujours relatif à l’entité concernée. En ce qui concerne le rapport extérieur intérieur, il est hautement significatif. Ce rapport explique pourquoi la Terre peut durer tout autant que le système solaire mais pas plus, pourquoi un homme peut durer tout autant que la Terre mais pas plus, pourquoi le foie d’un homme peut durer tout autant que l’homme mais pas plus, etc. La Terre pourrait à la limite entrer dans l’orbite d’une autre étoile, mais elle ne durera plus que cette autre étoile. Un homme pourrait à la limite aller habiter une autre planète, mais il ne survivra pas à cette autre planète. On pourrait à la limite faire une greffe du foie, mais le foie ne durera pas plus que l’homme auquel on a fait la greffe. Voilà pourquoi cet argument de Saint Augustin ne fait pas le poids. „J’ai entendu dire à un savant que le temps, c’est le mouvement du soleil, de la lune et des astres; je ne suis pas de cet avis; car, pourquoi le mouvement de tout autre corps ne serait-il pas le temps? Quoi! le cours des astres demeurant suspendu, si la roue d’un potier continuait à tourner, n’y aurait-il plus de temps pour mesurer ses tours?” (ch. XXIII, p 29) Si le mouvement du Soleil était suspendu, le mouvement de la Terre et, avec lui, celui de la roue du potier, le serait ausssi. Et le problème de la mesure des tours de cette roue ne se poserait même pas. Aristote a raison de reprendre ce lieu commun selon lequel toutes les choses naissent et périssent dans le temps. Mais il reste encore à préciser le temps dans lequel elles naissent et périssent. Dans notre cas, par exemple, le foie naît et périt dans le temps de l’homme auquel il appartient, l’homme naît et périt dans le temps de la planète qu’il habite, la Terre naît et périt dans le temps du système dont elle fait partie. Toutes les choses naissent et périssent dans un autre temps que le leur¹, mais elles vivent tant qu’elles sont en mouvement. Et comme mouvement et temps de vie sont indissociables, on peut dire que le mouvement est ce qu'on appelle le temps objectif. Pour la mesure du temps objectif, en revanche, il faut non seulement un agent, qui est toujours présent dans ses actions, mais aussi un patient pour lequel ces actions soient présentes. Il faut, autrement dit, en appeler au temps subjectif aussi. A suivre Notes ¹ Aucune chose ne vient au monde par elle-même et n'en disparaît pour elle-même. La naissance et la mort se passent dans un autre temps que le sien. La preuve : il y a des choses qui naissent, mais ne sont pas vivantes. Il y a des choses que l’homme crée et qui ne sont pas fonctionnelles. Dans un cas comme dans l'autre, on reconnaît la vie ou l'absence de vie à la disponibilité à se mouvoir, à passer à l’acte. Bibliographie Aristote, Physique http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/tablephysique.htm Saint-Augustin, Les Confessions http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/confessions/confessions.htm |
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