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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2016-02-14 | [This text should be read in francais] |
Terres d’Aventure et Grand Nord Grand Large, qui sont des voyagistes français soucieux de promouvoir les valeurs du tourisme écoresponsable et solidaire (voir bas de page), ont organisé semaine dernière (02 février 2016) une projection du film « La glace et le ciel » de Luc Jacquet, cinéaste mondialement célèbre pour son documentaire « La marche de l’empereur » décrivant l’incroyable odyssée des manchots empereurs de l'Antarctique, qui vivent et se reproduisent dans un environnement impitoyable et glacé, dénué de végétation, où l’océan constitue la seule source de nourriture. Point de manchots dans « Le ciel et la glace » mais une petite communauté humaine de scientifiques confrontés à l’isolement du continent antarctique et à un froid difficilement imaginable, puisque la température peut chuter à -80°C (sans compter l’effet du vent !).
La projection du film était précédée d’une présentation par quatre intervenants (dont l’écrivain Eric Orsenna), qui ont eu la chance d’accoster en Antarctique. Outre la beauté sauvage des derniers grands espaces vierges de la planète, qui les tous a fortement impressionnés comme s’ils pénétraient un sanctuaire, les voyageurs (aux expériences et aux motivations très diverses) ont insisté sur la fragilité, qui peut sembler paradoxale en songeant à l’immensité de l’Antarctique et à la violence des évènements météorologiques, d’un écosystème sans équivalent. Un lichen sur lequel on marche mettra plusieurs décennies à effacer le coup reçu… Mais la plus grande menace naît du réchauffement climatique, dont les effets commencent à être perceptibles dans les régions les plus septentrionales car il pleut parfois là où, depuis des siècles, ne tombait que la neige. Le plumage des bébés manchots n’étant pas imperméable, la mortalité de certaines colonies atteint 100 % car le plumage humide gèle, provoquant la mort des manchots transis de froid... « La glace et le ciel » est un documentaire (presque hagiographique) à la gloire de Claude Lorius, glaciologue français qui a consacré sa vie à l’Antarctique depuis son tout premier voyage effectué en 1957 dans le cadre de l’année géophysique internationale, où des explorateurs et des scientifiques cartographièrent les derniers recoins encore inconnus de la planète. Les images d’archives sont éloquentes : elles témoignent tout à la fois de la rapidité avec laquelle le monde se transforme et du caractère encore extrêmement aventureux des expéditions scientifiques menées dans l’immédiat après-guerre. A l'époque où Claude Lorius se lançait dans l’aventure polaire, Wilfred Thesiger, dont j’ai lu récemment « Le désert des déserts » (dans lequel il évoque son exploration du vaste désert au cœur de la péninsule arabique), déplorait l’impact de la civilisation occidentale qui menaçait de détruire à jamais le mode de vie des peuples nomades par la mécanisation des transports et l’étanchéité des frontières… Claude Lorius, qui vient à peine d’achever ses études universitaires, appareille de Marseille après avoir répondu à une annonce recherchant un scientifique résistant et volontaire pour une mission en Antarctique. A l’issue d’une navigation parfois pénible mais ponctuée d’escales merveilleuses, Lorius commence aussitôt, avec d’autres scientifiques, un long trajet, rude et périlleux, jusqu’à la base Charcot, qui est située à l'intérieur des terres. Dans les cabines des traineaux à chenilles règne une température de -15°C, qui semble « tropicale » par rapport aux conditions extérieures. Le séjour à Charcot, effectué en autonomie complète avec deux autres chercheurs dans un abri souterrain de 25 m2, dont ils sortent tous les jours (et parfois la nuit) pour mener leurs travaux scientifiques et relever le maximum de données, est exaltant mais éprouvant. Les morsures du froid, lors des manipulations d'outils qui obligent à retirer les gants, sont terribles. Par ailleurs, et un peu comme sur un navire, l’exiguïté des lieux et les conditions sommaires d’hygiène imposent patience, endurance et bonne humeur permanente pour parvenir à établir une ambiance conviviale malgré la promiscuité et les privations ; à la fin de leur séjour, les scientifiques commenceront d’ailleurs à présenter des signes de scorbut. Néanmoins, Lorius est enthousiaste car les résultats scientifiques sont prometteurs : ses études vont révéler que les glaces ont capturé de nombreuses poussières atmosphériques et que les retombées des explosions atomiques sont très précisément enregistrées dans les échantillons glaciaires. Suite à ce constat qui prouve la circulation des poussières et l’impact planétaire d’une explosion nucléaire (même de relative faible ampleur comme celle des premières bombes A larguées à Hiroshima et à Nagasaki), les grandes puissances prendront (plus ou moins rapidement…) des dispositions pour mettre fin aux essais nucléaires atmosphériques. Par ailleurs, le film (avec de belles images en gros plan de cristaux de neige) montre comment se forme la glace, par le dépôt successif des couches de neige. La neige est composée d’eau mais la nature de cette eau varie selon la température ambiante. L’oxygène et l’hydrogène existent dans la nature sous différentes formes isotopiques en fonction du nombre de neutrons présents dans le noyau atomique ; en raison de leurs poids, les isotopes « lourds » sont plus ou moins présents selon que la température est plus ou moins élevée : on peut donc extrapoler la température ambiante à partir de la composition isotopique de la neige (un peu comme on effectue une datation au carbone 14 par analyse de la composition isotopique du carbone présent dans un échantillon) et retracer l'évolution de la température sur Terre. Enfin, et surtout, c’est en dégustant un verre de whisky « on the rocks » avec des glaçons prélevés dans de la glace forée que Claude Lorius, en regardant la libération de quelques bulles au fur et à mesure que les glaçons se réchauffent et fondent, a soudain l’intuition qu’il doit être possible d’analyser l’air emprisonné depuis des milliers d’années dans la glace ancienne… C’est l'acte de naissance de l’étude des climats par les glaciologues, qui vont apporter des éléments décisifs à la compréhension du réchauffement climatique et définitivement prouver son caractère anthropique. Claude Lorius, à qui sera confiée la direction du laboratoire de Grenoble (CNRS), va retourner à de nombreuses reprises en Antarctique, avec des responsabilités croissantes. En souvenir d’une de ses premières expéditions en compagnie de scientifiques américains, une montagne découverte lors du voyage sera baptisée de son nom. Cette appellation, qui était au départ une simple plaisanterie, est devenue pérenne ! Expert au sein d’expéditions puis organisateur et chef d’expéditions, il profite des liens d’amitié tissés au sein de la communauté scientifique pour travailler en coopération à la fois avec les Américains et avec les Soviétiques. L’ambiance en Antarctique est très particulière : malgré le contexte de la guerre froide, les scientifiques de tous les pays collaborent pour faire progresser la science et la connaissance du climat, à tel point que Lorius va bénéficier du soutien logistique des USA (qui iront jusqu’à sacrifier deux avions de transport C-130) pour une expédition vers la « mythique » base soviétique de Vostok. Néanmoins, même si les scientifiques soviétiques et américains échappent à la logique des blocs ennemis, ils sont rivaux et, comme dans la conquête spatiale, se sont livrés une compétition acharnée, notamment pour le choix des lieux d’implantation des bases. Dans cette course de démonstration à qui en ferait le plus, l’URSS a choisi de créer sa base de Vostok dans l’un des lieux les plus hostiles du continent, qui est très difficilement accessible. Les images d’archives du film montrent que, dans leur progression vers la base, les soviétiques devaient mettre le feu aux fûts gelés de combustible pour faire le plein des réservoirs par -70°C / -80°C… (de mémoire de lecture d’un article paru il y a quelques années dans Sciences et Avenir, la température la plus froide jamais enregistrée sur Terre est de -92°C, à proximité de la base de Vostok). La base de Vostok est un lieu privilégié pour effectuer des carottages glaciaires car l’épaisseur de glace y atteint presque 4 kilomètres. Comme la glace se forme au rythme de quelques centimètres par an (avec des fluctuations en fonction de la variation des chutes de neige annuelle), il est aisé de comprendre que l’analyse qualitative et quantitative de l’air emprisonné dans une carotte de glace dépassant 1000 mètres permet de remonter le temps et d’étudier l’évolution du climat sur plusieurs dizaines de milliers d’années. En outre, les russes avaient développé des techniques de carottage très performantes et étaient passés maître dans l'art de contourner les têtes de forage coincées dans les puits. Le résultat de cette coopération française - américaine – soviétique fut stupéfiant, au-delà des attentes de son instigateur. En effet, Claude Lorius, par analyse des échantillons prélevés lors des carottages, a pu mettre en évidence : * la parfaite corrélation de l’évolution des températures et de la concentration des gaz à effet de serre (méthane, dioxyde de carbone) * l’existence d’un cycle de 100 000 ans (80 000 ans de glaciation et 20 000 ans de réchauffement), dont l’existence était soupçonnée par les astronomes. Dans son film, Luc Jacquet lie ce cycle climatique à celui de l’activité solaire alors qu’il semblerait que ce cycle soit lié à celui des variations de l’orbite terrestre, plus ou moins elliptique selon l’influence des planètes massives du système solaire. * l’origine anthropique du réchauffement climatique car, même si la Terre est actuellement dans une période naturelle de réchauffement depuis la fin du dernier âge glaciaire (normalement, cette période devrait s’achever dans 4000 ans environ), les courbes de concentration des gaz à effet de serre, dont les variations sont cycliques, présentent une nette rupture qui coïncide avec la révolution industrielle. Le film souligne ensuite les multiples interventions médiatiques de Claude Lorius qui tente, bien avant la création du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), d’alerter l'opinion sur l’impact climatique des activités humaines et sur leurs conséquences à moyen et long terme, qui appellent des actions à court terme pour endiguer une menace imminente. L’activisme militant de Claude Lorius, qui fut le premier lanceur d’alerte sur le réchauffement climatique et dont les analyses seront confirmées par les autres experts climatologues, lui a valu la remise du prestigieux prix « Blue planet » décerné par une fondation japonaise. Le film montre un extrait de la cérémonie. Néanmoins, quel fut l’impact réel de Claude Lorius sur la politique des Etats, dont la prise de conscience environnementale est tardive ? Et cette prise de conscience n'est-elle pas trop tardive pour être encore efficace ? Le film ne répond pas à cette double question, se contentant de prononcer un éloge panégyrique de Claude Lorius et d’interroger le lecteur par des images surprenantes (Claude Lorius, dans ses habits de glaciologue, marchant dans les cendres d'une forêt incendiée ou debout dans les eaux turquoises d’une plage tropicale, paradis idyllique qui sera inexorablement englouti par la montée des eaux) et une question finale : « Que ferez-vous ? ». Le film ne se veut pas alarmiste et cherche, avant tout, à rendre hommage à Claude Lorius. En ce sens, il illustre merveilleusement le discours porté par Michel Serres dans « Le contrat naturel » sur le rôle décisif des scientifiques, qui sont les plus aptes à pouvoir intercéder pour la préservation de notre environnement naturel et à susciter, entre l’humanité et le monde (que nous avons longtemps considéré comme un espace de surabondance et de profusion mis à notre disposition par un Créateur soucieux de nos intérêts), l’avènement d’un pacte de paix. Les lois scientifiques sont l’ébauche d’un corpus dont la cohérence et la beauté sont stupéfiantes. Hélas, sa validité n’est pas encore pleinement reconnue car la communauté scientifique, en tant que groupe collectif, se heurte à d’autres groupes collectifs aux intérêts divergents et auxquels ils sont parfois assujettis (notamment en matière de financement). L’enjeu est pourtant vital car l’humanité occupe désormais toutes les strates : individu pensant, groupe collectif, Etre-monde. Par la densité de ses réseaux, par son inventivité technologique et son poids démographique, elle est devenue un acteur global, équipotent aux océans, au climat, à la tectonique des plaques, etc. qui influent sur l’équilibre de la Terre. Le film de Luc Jacquet n’aborde pas les enjeux politiques et fait le choix de s’inscrire dans le discours usuel, voire conventionnel, sur l’importance des comportements individuels mais, hélas, ces discours ne sont que des alibis pour apaiser la mauvaise conscience des sociétés modernes. Les causes et les effets du réchauffement climatique sont simplement suggérés par le discours du narrateur (en voix off) ou par des images qui évitent le choc frontal. Ce faisant, il néglige les autres facteurs (pollution globale, épuisement des ressources et extinction massive de la biodiversité) qui accompagnent le réchauffement global comme un sinistre cortège de gorgones capables de pétrifier notre volonté par l’ampleur des réformes à accomplir. Les comportements individuels (qui sont certes un enjeu essentiel sur une planète peuplée de 7 milliards d’individus) ne pèsent pas grand chose par rapport à l’impact des dizaines de milliers d’avions qui sillonnent le ciel chaque jour ou celui des pratiques industrielles et agricoles. Etant marin, je me souviens avoir vu en 2013, lors de deux escales à Singapour et en Malaisie, un ciel gris envahi par les nuages de cendres amenés par les vents depuis les îles d’Indonésie, où se pratique un écobuage massif qui vise à favoriser le palmier à huile. Mais, surtout, tant que le monde connaîtra des zones de guerre quasi-permanente, soumises à des bombardements massifs, les citoyens s’égosilleront en vain. A quoi sert de trier ses déchets (ce que je fais pourtant) ou de prendre soin d’éteindre la lumière en quittant la salle de bains quand des puits de pétrole et des raffineries sont en feu ou que les relations entre Etats restent des rapports de force incapables de susciter une approche globale et concertée des enjeux de long terme ? La vie sur Terre est-elle assez résiliente pour supporter notre présence ? Malgré quelques signaux encourageants (comme la promulgation récente du Code Polaire par l'OMI ou, en France, l'implication croissante de l'Etat via la marine nationale dans la protection des espaces maritimes), la situation actuelle incite au pessimisme car la seule préoccupation réellement « stratégique » de la politique internationale devrait être l’instauration d’une relation symbiotique avec notre environnement, que nous épuisons aveuglément comme un parasite qui se contente de pulluler aux dépens de son hôte... Nos dirigeants ne semblent pas encore avoir médité l’exemple de l’île de Pâques et de sa civilisation suicidaire qui, faute d’avoir su s’adapter à temps à l’exiguïté de son espace vital, a détruit irrémédiablement son environnement et précipité sa ruine et sa disparition, bien avant l’arrivée des navigateurs européens. Espérons que, mise au pied du mur, l’humanité saura réagir à temps et qu’il n’est pas déjà trop tard… nota : Terres d'Aventure et Grand Nord Grand Large proposent des voyages, à pied ou par voie de mer, en Arctique (Scandinavie, Groenland, Islande, Canada, Alaska, Russie sibérienne) et en Antarctique, avec des excursions en ski, raquettes, traineaux, kayak, etc. Certains séjours, notamment en Antarctique et en Alaska, ne sont pas à la portée de toutes les bourses ; néanmoins, ce peut être le voyage d'une vie dans des espaces de moins en moins préservés et de plus en plus menacés de disparition... |
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