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Hommage à Claude Vigée
communities [ _ISRAELIENS_FRANCAISE ]
le plus connu des écrivains israéliens francophones

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by [marlena ]

2004-11-12  | [This text should be read in francais]    | 






Entretien de Claude Vigée avec Alain Veinstein

Extraits de l'émission d'Alain Veinstein "Surpris par la nuit", France-Culture, le 10 mars 2003.

Texte rédigé par Monique Jutrin (transcription: Colette Leinman)



A.V. - Selon vous, que représente aujourd'hui le poète? Aujourd'hui, c'est-à-dire, alors qu'un trop plein de paroles cache du vide et peut-être sert à masquer une absence?

C.V. - L'oeuvre du poète doit être une oeuvre de vérité. Il est nécessaire pour un poète d'accorder ses mots à l'expérience du monde et à sa propre expérience. Les mots du poème, certes, sont un chant, mais un chant devant ce qui est, et devant ce qui sera, c'est-à-dire, - c'est mon expérience, c'est également mon rêve, - qu'il faut, dans les mots de tous les jours, ramasser chaque fois l'expérience de toute une vie, de toutes les vies, et lancer cela dans l'avenir. C'est là la fonction du poète.
Il n'a pas à être témoin. Cela, c'est un autre problème. Il doit être fidèle à sa condition de créature, et les mots pour le dire doivent être vécus, entendus, et pas seulement dessinés. Il doit éviter le pittoresque. Il doit éviter le jeu gratuit, et pourtant, il doit jouer. De même, j'ai écrit cela quelque part, « Dieu s'amuse en nous, joue en nous, et malheur à nous s'il s'embête, s'il s'ennuie, il va sans doute déménager, et alors c'est la fin ».

A.V. - Donc, pas de repli sur soi?

C.V. - Certainement que non. Repli, oui, pour la méditation. Ecouter en soi-même en amont jusqu'au silence. Mais à partir de ce silence initial qui est un silence lourd de l'avenir, il faut rebondir, il faut faire un bond dans l'avenir, parce que demain, c'est notre seule demeure.

A.V. - Le poème est porté vers le dehors ?

C.V. - Vers le dehors et vers les autres, une intériorité, à travers les mots, lancer un pont qui va du cœur au cœur.

A.V. - C'est-à-dire, les mots vont vers l'autre dans la mesure où, à la parole est rendue le souci de vérité ? « Parler sans le désir de vérité n'a aucun sens », avez-vous écrit.


C.V. - Oui. Absolument. Autrement ce sont des jeux de mots ou alors l'expression d'un désespoir total. Bien que je sois très âgé, je n'en suis jamais arrivé là. C'est l'inconnu de l'avenir qui m'intéresse. La comédie du désespoir, c'est un grand luxe, qui peut se payer ça aujourd'hui ? La vie est beaucoup trop difficile : les instants sont comptés doublement pour un homme comme moi. Chaque instant est compté. Chaque instant est une lutte pour conquérir un jour de plus, une lumière à venir

A.V. - Donc le poème est animé par un double mouvement : il va vers l'avenir, et d'autre part, vous ne cessez de dire que le poète doit chercher en lui-même un lieu antérieur à sa propre personne.

C.V. - Avant tout. C'est à partir de là que le jaillissement est possible, sinon c'est seulement une perte, un gaspillage. Il faut bien sûr savoir remonter en soi-même, jusqu'au au lieu premier, - au non-lieu premier -, celui du silence matriciel. Je sais par expérience et depuis ma jeunesse qu'il y a en chacun de nous un tel lieu. Cette instance première, ce tremplin, si vous voulez, on peut l'appeler l'enfance. Mais ce n'est pas nécessairement une enfance vécue. C'est l'enfance avant cette enfance, c'est de là que nous parlons car il faut nous arracher tout en portant cela en nous.
L'autre jour j'étais avec des amis. On parlait de l'enfance. Je leur disais : C'est très bien de se souvenir de l'enfance, mais ça ne suffit pas, puis ça ne sert à rien. Le souvenir ne sert à rien. Ce qu'il faut, c'est prendre l'enfance, en amont du début : le prendre comme la planche d'un tremplin, pour bondir, pour plonger dans l'avenir, dans l'inconnu. De façon à rebondir, d'année en année, de jour en jour, en ne lâchant jamais cette planche, qui est maintenant la planche de salut.

A.V. - Et d'obtenir la communication avec l'autre, avec cette énergie fondatrice aussi qui est en chacun de nous.

C.V. - Le poète Benjamin Fondane appelait cela « le sel sauvage ». C'est une magnifique expression. Moi, je l'explique autrement, mais c'est la même chose.

A.V. - Vous pensez que c'est encore possible de transmettre cette langue morte qui est la nôtre aujourd'hui, qui tient lieu de langue au quotidien ?

C.V. - Une langue de momie. Nous n'avons pas le choix. Nous sommes constamment guettés par l'asphyxie. Non seulement par le silence mais par l'excès des mots. Il faut refuser ce jeu-là. La langue morte, elle est morte dans la mesure où nous sommes morts. Mais si nous refusons, c'est à nous de prendre les mots à bras-le-corps, et de les tordre comme on tordrait une corde de lin. C'est une tentative désespérée, mais il n'y a pas d'alternative.

A.V. - Si je reprends ma question initiale « que représente aujourd'hui le poète ? », on peut dire que le rôle du poète ne se distingue pas beaucoup du prophète de l'Israël antique.

C.V. - Oui, toutes proportions gardées. C'est-à-dire que le prophète biblique tenait dans ses mains le destin de tout un peuple et des autres peuples. C'est une ambition que nous ne pourrions avoir. Cela dépasse nos forces. Mais ce que nous pouvons faire et devons faire sur le modèle du prophète, c'est lancer une parole qui remue, qui fasse bouger ceux qui l'entendent.
Le sens profond de la prophétie biblique, c'est de retrouver le chemin de la vie. Ce sont des prophètes de malheur, certes, presque tous, mais prophètes du vouloir vivre dans la tragédie du monde. Nous ne pouvons lancer l'histoire des nations actuelles sur le monde de la vie. Nous sommes désarmés, mais qui sait, d'être à être, de cœur à cœur, peut-être que d'autres seraient entraînés… Ce serait défier ce découragement automatique qui nous entoure et nous paralyse.

A.V. - Vous distinguez l'homme du poète ?

C.V. - Non, je ne voudrais pas. Je le distingue dans la mesure où tant d'hommes renoncent. Le seul non, c'est le non dans le mot renoncement. Celui-là, je ne l'aime pas mais je crois qu'il y a en réalité, tapie dans chacun de nous, l'attente d'une parole aimante, vivante, et qui, comme une clé, ouvre la porte du lendemain. Ce serait ça la prophétie actuelle, inverse. A l'inverse on peut empoisonner les autres avec sa parole, on peut les entraîner dans cette misère du mot dévalué, moqué.
Quand on se moque des mots, ça veut dire qu'on se moque des autres, et de soi-même. On n'a pas besoin d'encourager les gens à se pendre. Il faut leur donner envie de danser, même si on danse vers l'abîme. Et là, la danse vaut beaucoup mieux que la récrimination ou que le crachat de la méchanceté.

A.V. - Quand on a dépassé la huitième décennie d'existence, l'abîme ne fait pas peur ?

C.V. - Bien sûr qu'il fait peur. Mais cet abîme n'est peut-être pas si noir. « Du noir n'est pas noir » disait le poète. Il faudra l'affronter si possible avec cette fameuse planche dont je vous ai parlé tantôt. La musique de Mozart, par exemple, le Don Juan vers la fin et dans certaines symphonies. C'est comme si Mozart, qui était tout jeune, - il est mort à 35 ans -, tournoyait vers l'impossible, vers le fatal, mais au lieu de s'y laisser choir tristement, c'est dans un tournoiement qu'il s'y lance ; voilà l'exemple, le grand courage.

A.V. - Alors vous disiez qu'il est important pour un poète de considérer ce lieu antérieur, le lieu de l'enfance par exemple, qui va nous amener à retracer votre parcours. Vous êtes né le 3 janvier à Bischwiller. Vos grands-parents y étaient établis depuis très longtemps.
L'Alsace comme une Egypte hospitalière ?

C.V. - Oui. C'était une Egypte. Elle peut être un cimetière. C'est d’abord les morts de ma famille et ce sera sans doute le lieu où je prendrai ma villégiature. Conscience très forte de la finitude. Et la neige peut être une sorte de moisissure. Tout ça je le sais et je lui prête ma voix.

A.V. - A 15 ans vous découvrez Mozart.

C.V. - Oui, il est resté pour moi le premier mouvement qui vous propulse le premier mouvement qui vous soulève au septième ciel. En entendant ça, j'ai su, voilà ma vie, voilà mon avenir, voilà mon maître.

(…)

A.V. - Il y a une porte, Claude Vigée, que nous n'avons pas cessé d'entrouvrir pendant cet entretien. C'est La 41ème de Mozart, c'est-à-dire la Jupiter. Qu'est-ce qu'elle a de si extraordinaire, cette symphonie de Mozart ?

C.V. - A propos de ce dernier mouvement de la fugue, je vais vous faire une confession que je n'ai jamais formulée.
J'ai été très longtemps fasciné par le récit biblique du rêve de Jacob, du rêve de l'échelle. Et bien pour moi, le dernier mouvement de la 41ème, c'est l'échelle : les anges qui descendent là, ce sont les anges de toute l'histoire humaine, ce sont les anges du destin de toute l'histoire humaine. Nous sommes arrachés, propulsés dans l'absolu. L'absolu n'existe pas. Sauf là. Dans chaque homme il y a une possibilité, une possibilité d'expérience du divin. J’ajoute encore ceci :
Dans un passage étonnant du Zohar, dans les tikounim, les Sages de la Kabbale s'interrogent sur le passage biblique du buisson ardent « Ehieh asher ehieh ». D’ordinaire on traduit : « je suis qui je suis », mais en vérité c'est au futur : « je serai qui je serai ». Le nom de la « Shekhinah » , de la présence divine cachée dans l’intériorité humaine, comme au sein du buisson qui brûle et ne se consume pas, c'est « oulaï », qui veut dire, « peut-être ». Et c’est ce que nous révèle la musique de Mozart et surtout le dernier mouvement de la 41ème.


OUVRAGES DE CLAUDE VIGÉE

• La lutte avec l'Ange, Les Lettres, 1950.
• Avent, Les Lettres, 1951.
• Aurore souterraine, Seghers, 1952.
• La Corne du Grand Pardon, Seghers, 1954.
• L'été indien (poème et journal de l'été indien), Gallimard, 1957.
• Les artistes de la faim, Calmann-Lévy, 1960 : essais sur la thématique du refus du monde dans la littérature moderne.
• Révolte et louanges José Corti, 1962 : essais sur la thématique du refus du monde dans la littérature moderne (suite).
• Le poème du retour Mercure de France, 1962.
• Moisson de Canaan, Flammarion, 1967 : récits et poèmes évoquant nos premières années en Israël (1960-67).
• La lune d'hiver, Flammarion, 1970 : récits autobiographiques couvrant la seconde guerre mondiale, le séjour en Amérique et l'arrivée à Jérusalem.
• Le soleil sous la mer (poèmes 1939-1971), Flammarion, 1972.
• Délivrance du souffle, Flammarion, 1977.
• Du bec à l'oreille (album de textes), Ed. de la Nuée Bleue, Strasbourg 1977.
• L'Art et le démonique (essais), Flammarion, 1978 : essais de littérature comparée (Baudelaire, St John Perse, Rielke, Goethe, Camus etc.).
• L'Extase et l'Errance (essais), Grasset, 1982 : les rapports entre la prose narrative et la poésie lyrique dans l'optique de la Bible.
• Pâque de la parole, Flammarion, 1983.
• Le Parfum et la Cendre (entretiens), Grasset, 1984.
• Les Orties noires (poèmes et proses), Flammarion, 1984.
• Une voix dans le défilé, Nouvelle Cité, 1985 : Vivre à Jérusalem, 1960-1985.
• La Manne et la Rosée (essai), Desclée de Brouwer, 1986 : fêtes juives et traditions bibliques.
• La Faille du regard (essais et entretiens), Flammarion, 1987.
• Wénderôwefir, Association Jean-Baptiste Weckerlin, Strasbourg, 1988.
• Aux sources de la littérature moderne I (essais), Entailles - Philippe Nadal 1989.
• Le feu d'une nuit d'hiver (poèmes), Flammarion, 1989.
• Apprendre la nuit, (poèmes), Arfuyen, 1991.
• Dans le silence de l'Aleph, Albin Michel, 1992 : la vie spirituelle et l'expérience de la révélation à la lumière du texte biblique.
• L'héritage du feu (essais-poèmes-entretiens) Mame, 1992.
• Les puits d'eaux vives (avec Victor Malka), Albin Michel, 1993.
• Un panier de houblon
o tome I, La Verte Enfance du monde, J.-C. Lattès, 1994.
o tome II, L'Arrachement, J.-C. Lattès, 1995.
Récit autobiographique sur l'enfance en Alsace avant la seconde guerre mondiale.
• Treize inconnus de la Bible (avec Victor Malka), Albin Michel, 1996.
• La Maison des vivants, Images retrouvées, La Nuée Bleue, Strasbourg, 1996 : illustrations et textes autobiographiques.
• Aux portes du labyrinthe (poèmes, 1939-1996), Flammarion, 1996.
• La lucarne aux étoiles, Le Cerf, Paris, 1998 : Cahiers de Jérusalem, 1967-1997.
• Le Grenier magique, Graph-Editions, Bischwiller, 1998 : album de photographies et textes autobiographiques - en collaboration avec Alfred Dott.
• Vision et silence dans la poésie juive - Demain la seule demeure (essais et entretiens) L'Harmattan, Paris, 1999 : l'Aleph chez Jorge Luis Borges ; le thème de la dialectique du son et de la vision dans la tradition juive.
• Journal de l'été indien (nouvelle édition), éd. Parole et Silence, Saint-Maur, 2000.
• Les Orties noires (nouvelle édition commentée et préfacée par Frédéric Hartweg, postface de Heidi Traendlin), éditions Oberlin, Strasbourg, 2000, (texte bilingue).
• Le passage du vivant, éd. Parole et Silence, Paris, 2001.

OUVRAGES EN LANGUES ETRANGERES
• Heimat des Hauches, Elster Verlag, Baden-Baden, R.F.A., 1985.
• La manna e la rugiada, Ed. Borla, Rome, 1988.
• Leben in Jerusalem, Elster Verlag, Baden-Baden,1990.
• Selected Poems, Menard-King's College Press, Londres, 1992.
• Soufflenheim (poèmes - Gedichte), Verlag Das Wunderhorn, Heidelberg, 1996.
• Bischweiler oder Der grosse Lebold tome I et II, Erstes Buch, Das Arsenal, Berlin 1998.
• Arts et Littérature de Corée (Automne 2000) : Numéro spécial sur Claude Vigée.

TRADUCTIONS
• Cinquante poèmes de R. M. Rilke, "Les lettres", 1953 et "jeunes amis du livre", 1957.
• Mon printemps viendra, poèmes de D. Seter, adaptés par Claude Vigée, P. Seghers, 1965.
• Les yeux dans le rocher, poèmes de David Rokéah, traduits de l'hébreu par Claude Vigée, José Corti 1968.
• L'Herbe du songe, poèmes d'Yvan Goll, traduits de l'allemand par Claude Vigée, Ed. Caractères, 1971, Arfuyen, 1988.
• Le vent du retour, poèmes de R. M. Rilke, Arfuyen, 1989.
• Quatre Quatuors, poèmes de T.S. Eliot traduits de l'anglais, The Mernard press, Londres, 1992.

MULTI-MEDIA
• Poésie et Guitare - "Aux portes du labyrinthe et autres poèmes" par Claude Vigée et Rémy Drago : coffret de deux disques CD, production Lectures et Ecritures, Strasbourg 1999.

OUVRAGES SUR CLAUDE VIGÉE
• Claude Vigée, par Jean-Yves Lartichaux, coll. "Poètes d'aujourd'hui", Seghers, 1978.
• Lire Claude Vigée, par Adrien Finck, C.R.D.P. n°14, Académie de Strasbourg, 1990.
• Colloque Claude Vigée, Revue Alsacienne de Littérature, no. 30, Strasbourg, 1990 (pp.6-56).
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• La Terre et le Souffle, Claude Vigée, Actes du colloque de Cerisy, 1988, Albin Michel 1992.
• Hommage à Claude Vigée, Revue Alsacienne de Littérature, no. 73, Strasbourg, 2001 (pp.5-40).
• Claude Vigée, un témoignage alsacien, par André Fink, la Nuée Bleue, Strasbourg, 2001.



Bibliographie/Oeuvres de Claude Vigée: Carmen Oszi

Carmen Oszi : auteur d’articles dans la Revue d’histoire littéraire de la France (Paris), Approches (Haïfa), Cahiers Benjamin Fondane (Tel Aviv, Paris) ; rédacteur adjoint de Kesher, revue de recherche sur les média ; dirige le Centre d’information de l’Institut de recherche des media du peuple juif à l'Université de Tel Aviv.







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