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A la croisée des chemins
personals [ ]

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by [syriuseyes ]

2016-09-17  | [This text should be read in francais]    | 



Regardez-les côte à côte, marchant dans la rue sans se connaître l’un l’autre. Ces trois hommes n’ont en commun que Mathilde pour qui ils montrent tous trois un intérêt certain.

Celui qu’on surnomme le beau Julien n’a de cesse de courtiser Mathilde. Il la couvre de fleurs et de cadeaux, tentant vainement de ravir la jeune femme. C’est un sacrifice à faire se répète-t-il, rongeant le frein de son avarice. Même si les fleurs coutent chers, cela peut rapporter gros. Mathilde possède une dot conséquente et une famille très aisée, ce qui laisse présager un riche héritage. Il l’appelle trois fois par jour, la complimente sur ses vêtements et ses coiffures, flatte son intelligence devant ses amies et lui rappelle parfois qu’il lui réserve sa beauté. Il joue le fils auprès du père de celle-ci, se fait le frère de tous ses frères, pensant gagner qui sait quelque point auprès d’elle. Ne jugez cependant pas trop sévèrement Julien. Celui-ci n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Abandonné à la rue dès sa plus tendre enfance, soumis à la faim, la saleté et la honte, à l’aspect sans pitié du monde des sans abris puis celui de l’assistance publique, il a dû se battre pour se faire une place, pour se fabriquer une vie et pouvoir tendre vers ses rêves, quitte à marcher sur quelques têtes. Ses costumes, sa voiture, son argent il avait tout gagné à la sueur de son front, cumulant les études et les emplois, se faisant des relations, changeant sa façon de parler et de s’habiller, améliorant sa culture. Il se fait un point d’honneur à ne rien lâcher, pour toujours tendre vers son but ultime, devenir riche, devenir quelqu’un, bref devenir quelqu’un de riche ! L’arrivisme de Julien n’a de limite que son machiavélisme, cependant il ne se ment pas à lui-même et reste conscient de l’aspect relativement immoral de la façon dont il mène sa vie. Mathilde est la clé de son succès et il le sait. Incessamment il la cherche, usant son porte monnaie et sa voix à répéter partout -- Mais où est donc Mathilde ? Mathilde n’est pas là, Mathilde s’en est allé.
Vient ensuite le vieux Freddy qui court lui aussi après la plantureuse jeune femme, autant qu’il espère rattraper les années. Celui-là aime qu’on le regarde et se montre sous ses plus beaux atours lorsqu’il va séduire la jeune Mathilde. Il parle fort et use de mots compliqués dont on comprend qu’il n’en connaît pas réellement le sens et se lance afin qu’on le remarque dans des démonstrations pseudo-philosophiques pour étaler son savoir et son importance. Il accompagne souvent son discours de gestes exagérés jetant régulièrement un œil scrutateur pour rappeler l’attention de son auditoire lorsqu’il tente de se dérober. Toute sa vie il a crié au monde son existence. A ses parents absents, à ses maîtres qui ne s’occupaient pas assez de lui, à ses collègues envieux et réprobateurs, à ses amours passés qui ne le comprenaient pas. Au soir de sa vie, il tente de bruler une dernière fois, de ressentir l’amour, d’exister dans les yeux de Mathilde. Il lui offre des cadeaux qu’il veut originaux, un camée à son effigie, un livre dédicacé de son auteur préféré. Il va jusqu’à prouver son amour en se ridiculisant volontairement. C’est ainsi qu’il arrête volontiers la cohorte de voitures se rendant à un bal donné en l’honneur de sa belle pour lui cueillir des pâquerettes devant une assistance consternée ! Non Freddy n’est pas niait, Freddy sait rester jeune, Freddy n’a pas peur du ridicule, il se sait au dessus de ça, Freddy est au delà de ceux qui pensent le contraire de Freddy. Engagé, il participe à des manifestations au nom des autres, il se bat contre l’autorité, à coup de pavé, à grand cris, à coup de pavé dans la mare surtout. Courageux, il refuse l’establishment et ne mange que des produits biologiques, comme tous devraient le faire se dit-il naïvement. Il donne facilement son bien à qui lui rend son regard montrant ainsi sa générosité. Il ne manque bien sûr pas de raconter et d’étaler ses qualités auprès de sa mie. Avoir la belle Mathilde à son bras, c’est être vu et envié et il le sait ! Mais où est donc Mathilde ? Mathilde n’est pas là, Mathilde s’en est allé.
Et puis il y a le grand Jacques ! Le rêveur, le passionné, le bruleur d’âme ! Il aime Mathilde plus qu’il ne s’aime et se veut damné depuis qu’il a fait sa connaissance. C’était à la brunante de l’été, il rentrait chez lui cherchant son chemin et sans doute un but avec lui. Sur les collines au loin, un soleil rouge irisait les saules bercés par l’alizé qui chantait sa solitude aux merles moqueurs. Au détour d’un chemin il l’aperçut ! Sa silhouette se dessinait sur l’horizon, dans le flou de la chaleur de la route bordée de tournesols. Telle une ombre furtive se dérobant au regard qui la suit, la jeune femme fuya ses yeux ébahis lorsque tout deux se trouvèrent à même hauteur. Le souffle coupé par son cœur qui cognait dans ses tempes, il lui demanda d’une voix fluette et douce son prénom, se surprenant d’une telle témérité. Elle lui offrit un sourire et sa réponse tout en continuant sa route, laissant là notre grand Jacques, seul avec son émoi et la douleur de la voir s’éloigner. Il s’empressa de la rattraper, le sourire figé d’un clown envouté masquant son visage et dissimulant sa timidité, qu’il bafouait à l’aborder. Bafouillant, hésitant, il lui récita l’étranger de Baudelaire tandis que les tournesols tournaient leurs têtes ailleurs. Depuis il ne peut vivre sans elle ! Quand elle part il brule, quand elle revient il s’apaise et jubile. Il ne parle que d’elle, ne pense qu’à elle ! Il trouve en elle tout cet amour dont on l’a privé enfant, craignant qu’elle ne l’abandonne elle aussi comme le firent jadis ses parents. Il lui écrit des poèmes et des chansons, lui sert d’échanson satisfaisant tous ses besoins. Il s’imagine marié à son bras, rêve à ces enfants qu’ils auront, qui ressembleront plus à sa belle qu’à lui espère-t-il. Il n’écoute plus de musiques si ce n’est les siennes, ne porte plus que ce qu’elle aime, il change pour ce qu’elle aime, ses lectures et sa coiffure, jusqu’à son parfum… Si Mathilde l’exige, s’il estime qu’elle le souhaite, il deviendra son chien ! Soudain il s’affole et cherche apeuré autour de lui. Mais où est donc Mathilde ? Mathilde n’est pas là, Mathilde s’en est allé.

Regardez-les côte à côte, sous le marbre froid du cimetière sans s’être connu l’un l’autre. Ces trois hommes n’avaient en commun que Mathilde. Mais où est Mathilde ? Mathilde n’est pas là, Mathilde s’en est allé, elle aussi, ailleurs…

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