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La fortune de mon ami, le vieillard
prose [ ]

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
by [ivs ]

2004-10-07  | [This text should be read in francais]    | 



Ignoré par la plupart des habitants de la petite ville, évité par les quelques connaissances qu’il réussit à s’y faire, mon récent ami pourrait passer pour un être désespéré cherchant sa fin.Et ce n’est pas du tout vrai.Il est le plus heureux des vieillards que j’ai jamais connus et en savez-vous la raison?
Ecoutez son histoire, telle qu’elle m’a été racontée par lui-même.A cela je dois ajouter qu’il reste pour moi un charmant convive, un causeur qui chasse tout désir de dire « au revoir », l’une de ces rares âmes qu’on ne rencontre qu’en rêve.
La ville, traversée par une large chaussée, montrait sa face triste dès que l’on y arrivait.Une sorte de rideau gris et bien épais empêchait de distinguer les visages.Les gens ne souriaient pas et le salut était assez peu fréquent.Chacun pressait le pas et tous semblaient en proie à une préoccupation inattendue.Si on les arrêtait pour demander son chemin, par exemple,ils te répondaient mais avec une telle grimace qui te faisait regretter de ne t’être pas tu.
Mon vieillard arriva un matin et il décida de s’y installer.Dans le coin de la rue il y avait une habitation offrant des locations.Il en prit une au rez-de-chaussée. "Pour être plus proche de la vie !" me dit-il en souriant.
Pendant plusieurs jours on ne le vit pas dehors. Dans sa petite chambre il commença à ranger son trésor. Des boîtes en carton numérotées, des pièces de papier glacé et un gros registre, c’est-à-dire ses outils de travail, furent vite mis en place.
Des réponses par ordre alphabétique dont voici une partie :
-absurdes, agréables, ambigües, à la portée de tous ;
-banales, bienveillantes ;
-catégoriques, conformistes, compliquées ;
-délicates, dépourvues de signification, drôlatiques ;
-efficaces,élevées,évasives ;
-franches, finales ;
-galantes,gênantes ;
-hésitantes, historiques ;
-inattendues, impossibles à comprendre d’un coup ;
-joyeuses ;
-lapidaires ;
-malveillantes ;
-neutres ;
-officielles ;
-personnalisées ;
-remarquables ;
-satisfaisantes ;
-terribles ;
-urgentes ;
-verbales ;
-xérocopiées ;
-en zig-zag.
Dans le carton portant l’initiale « A » il hésita à mettre « aporie » car lui-aussi m’avoua avoir du mal avec cela.
Après avoir terminé cette première étape, il se frotta les mains et se dit : "Dans cete ville, oui, je le sens,ici, j’aurai plus de chance !"
Il cherchait des gens connaissant des questions, du moins quelqu'un qui lui en pose une. Jusqu’à présent, malheureusement, rien de son désir ne prit contour. Mais lui, optimiste né, ne perdait pas son courage de se maintenir dans sa recherche. "Demain, peut-être demain !"
En sortant dans la rue, il vit une femme qui avait l’air de vouloir se promener et il pensa l’aborder. Les promenades et les bonnes discussions ….
Sans même le regarder, la dame tourna et disparut hors de sa vue.
Le vieillard décida de se rendre dans toutes les places où il pouvait rejoindre ses semblables. "Qu’ils connaissent ou non des questions… rien que de les observer et me rendre compte de leur pensées.Ca m’aidera également pour l’instant. »
Les parcs étaient vides, le gros nuage pesant sur la ville paraissait l’avertir d'un échec imminent.
Le lendemain, en regardant par la fenêtre, il s’aperçut qu’il pleuvait. En prenant son parapluie, il sortit en remerciant les cieux pour ce don. "Oui, la pluie me vient en aide ! Le café est un excellent abri par ce temps-là."
Tout en ouvrant la porte, il entendit un groupe bavarder mais dès qu’il entra tous s’arrêtèrent.Ils le regardaient l'air absent et attendaient sûrement qu’il s’en fût.
Quelques jours après lui avoir rendu visite dans son laboratoire de magie je ne l’ai pas revu.
Pourquoi ne m’avait-il pas demandé de lui poser une question? J’en connaissais mille. Serait-elle trop simple ou moi, étais-je trop bavarde? Je décidai de le questionner à ce sujet. Nous étions amis, j’avais le droit, pensais-je, d’en savoir plus.
J’avais des question, oh, oui, ma vie entière était une question. Ne peut-il pas s’en rendre compte? Mais laquelle lui poser?
Comme prévu, j’attendis l’occasion de le voir pour mener à bien mon plan. Je pensais que tous les deux, lui et moi, nous aurions une belle journée après cela.
Il apparut un jour à la lisière de la ville, là où une forêt se présentait à la vue. Pensif, il esquissa un geste de lassitude et me fit signe de me taire. Nous marchions, chacun portant son poids, en silence, un silence qui pesait trop pour ne pas l’interrompre.
- Mais, moi…..
- Tais-toi, ma petite,je connais ta question. Et tu vas avoir la réponse bientôt.
Je l’accompagnais mais comprenais qu’il était loin, il m’avait déjà quittée.
Le soir même il prit un sac, y versa le contenu de ses boites et se dirigea vers la forêt. Son pas n’était plus alerte et le sac semblait extrêmement lourd.



Le soleil salua brusquement la ville. La dernière tache de brouillard venait de se dissiper sur la feuille d’un grand bouleau.

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