Yves Heurté est l’auteur de nombreux romans mais aussi de pièces de théâtre, contes et recueils de poésie. Ce qui nous interpelle chez Yves Heurté c’est cette capacité à passer d’un genre à l’autre, d’un public adulte à un public enfant, de sujets « graves » tels que la guerre ou les camps de concentration à des poèmes pour la jeunesse tels que Chocolats chauds et autres poèmes à savourer en passant par les aventures de Forban le Magnifique à Vous gens de montagne,chroniques de Pierre Bachy que nous vous invitons à découvrir. C’est un peu comme si Yves Heurté avait le souhait de nous raconter des histoires sans jamais oublier celle qu’il a vécue ou que les hommes ont vécue.

Dans la gueule d’ombres, recueil de poésie, il y a l’enfant, l’homme, la femme, le bourreau, papa, Otto, le petit garçon, les héros, le libérateur. Tous unis pour fixer une page terrible de l’histoire, Auschwitz. C’est avec détermination que les personnages d’Yves Heurté nous parlent du courage, de l’espoir, de l’honneur, de la liberté alors qu’ « au ciel, il y avait bien plus de balles que d’oiseaux ».


Yves Heurté dénonce l’injustice face à de telles souffrances


« Merci à toi Seigneur pour l’Absolu silence

quand tu voyais passer sur la route d’exode

tous tes enfants crucifiés. »



Cette guerre terrible où l’homme a devant lui un autre homme qu’on lui demande d’abattre.


«Il est là, devant toi,

seul, debout dans un champ

et tu dois lui tirer

une balle dans le ventre ? »



Des images dures dans cet ensemble de poèmes et pourtant on ne peut oublier cette page d’histoire, on ne peut oublier ces hommes qui partaient dans les camps, sans trop savoir ce qui les y attendait. « On dit qu’il y a deux sortes de camps de déportés. Ceux où les hommes savent pourquoi ils sont là, ceux où ils ne le savent même pas. » Yves Heurté écrit d’ailleurs à propos d’un de ces hommes «A se demander si cet homme-là restait encore un homme ? » Et la vie dans les camps qui se dessine dans ces poèmes où les mots n’ont pas peur de montrer leur révolte, leur colère pour tant d’enfants, femmes et hommes tués. Les camps de concentration, Yves Heurté les a vécus de près ou de loin. Né en 1926, il exerce la profession de médecin. Pendant l’exercice de ses fonctions, il est touché par les anecdotes de certains de ses patients, rescapés des camps de concentration.

Lire la chronique de Pierre Bachy Dans la gueule d'ombre

Cécile Guivarch

On saute du coq à l'âne avec Chocolats et autres poèmes à savourer. On s'installe devant un bon bol de mots gourmands, goûter qu'Yves Heurté offre aux enfants mais aussi aux adultes.


Si les mots sonnent, résonnent et jouent en ouvrant un passage vers un des pétales de cet Art Poétique


"J'aime les poèmes

à papouilles,

ceux dont les images

chatouillent;



J'aime les poèmes

qui ne riment à rien."



Ils peuvent aussi devenir graves, parler de mort, de maladie tout en gardant la saveur des objets de l'enfance s'ouvrant vers les découvertes du temps noir ou bleu comme La Craie bleue :


"L'ambulance est partie

avec la jolie morte.



sur les trottoirs les policiers

ont oublié leur craie.



Deux enfants à genoux

sur la silhouette bleue

lui dessinent des yeux."


Les dessins de Claire le Grand accompagnent la disposition des poèmes sur la page, jouent avec les résonances, les échos.

Yves Heurté nous partage des surprises à savourer dont les enfants s'emparent. Le poème reste longtemps dans nos veines, devient la palpitation du coeur alors les adultes retrouvent leurs regards d'enfants, en essayant de ne pas brûler notre terre de contes et de merveilles tel L'incendiaire :

"Une nuit, tout brûla.

En frottant sur son livre

l'allumette d'un conte,

un enfant mit le feu

à l'histoire du monde."



On marche avec les mots, les délices, on goûte, on explore, on devient le cosmonaute des mots en faisant gaffe à ce que la lune ne dérape pas comme dans l'entrée de ce Constat :


"Sur l'asphalte des nuits

la lune a dérapé"


Attention aussi à ne pas trop s'approcher de la mer, comme le soleil elle peut nous donner un Coup de mer en effet même si vous :


"Empruntez à la mer une vague.

(Elle en fait sans arrêt, ça ne la prive pas.)"


elle peut avoir ses jours de mauvaise lune :

"(Mais dimanche, en furie,

la mer a recraché

la petite cuillère

que j'avais oubliée)"


"La mer" peut aussi se radoucir :

"Souvent je sens la mer

remonter dans mes veines

en grande douceur"


tout comme les éléments de la nature, et les poèmes bondissent sur les feuilles, les arbres, deviennent étoile, oiseau ou chocolats chauds...


Juliette Schweisguth



Poème de Jean-Marc La Frenière

-À Yves Heurté

Le mot frère existe-t-il
Sans qu'on l'habille d'un drapeau ?
J'appelle camarade
Le pain nu sur la table
Où chacun prend sa croûte.
Les étoiles sont mes sœurs.
Les arbres sont mes oncles.
La sève au bout des branches
Nous parle des racines.
Je lis les lignes de la main
Tout au bout d'un moignon.

Tout homme prend naissance
D'une blessure d'enfance.
Ceux qui se croient de pierre
Ont peur des pétales.
Ils ferment l'horizon
Aux abeilles de l'aube.

Je ne coupe plus un lys
Sans entendre son cri.
Je ne fais plus mon pain
Sans remercier la terre.
Je parle pour la pluie
Quand les nuages ont soif.

13 novembre 2004


Vous pourrez lire la bibliographie de Yves Heurté sur son site
Yves Heurté des livres pour résister par Jean-Christophe Angelo (Maîtrise SID, 2001)
Yves Heurté est un membre actif chez Francopolis
" Un ami m'a dit: " Au fond, tu es un manuel qui a mal tourné " C'est vrai. J'ai tout de l'artisan qui fait des chaises quand il en a besoin et vous pourrez lire ses poèmes et chroniques dans plusieurs rubriques du site de Francopolis :
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Par Juliette Schweisguth,
Cécile Guivarch et Jean-Marc La Frenière
pour Francopolis en partenariat avec Agonia - Janvier 2006