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Réflexion sur la mort
essay [ ]

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by [Miruna Tarcau ]

2008-10-07  | [This text should be read in francais]    | 



Depuis les débuts les plus précoces de l’humanité, l’Homme est conscient de l’existence de la mort. Il la côtoie, l’apprivoise, l’appréhende et malgré toutes les questions qu’elle soulève, aucun peuple ni aucune civilisation n’a jamais su donner de réponse définitive quant à sa nature, à ses secrets. Si l’on accepte l’expression qui veut qu’on ne craint que ce qu’on ne connaît pas, est-il juste de dire que tant que l’Homme n’aura pas percé les secrets de la mort, il la craindra?
Le père d’une des deux grandes maisons de pensées de l’école d’Athènes, Épicure, a dit et je cite :
« À l’égard de toutes les autres choses, il est possible de se procurer la sécurité; mais, à cause de la mort, nous, les hommes, nous habitons tous une cité sans murailles. »
En admettant que la seule protection que peuvent brandir les Hommes envers la mort, c’est une explication du phénomène, je vais tenter de parcourir les réponses vers lesquelles s’est tournée l’humanité à travers l’Histoire, tout d’abord dans la religion, puis dans la science et dans la littérature.

Dans toutes les civilisations anciennes, les phénomènes naturels étaient le plus souvent expliqués par telle ou telle divinité; c’est d’ailleurs ainsi qu’est né le polythéisme. Ainsi sont créés Zeus, le dieu du tonnerre, Poséidon, dieu des tempêtes et tremblements de terre et, puisque la mort est un phénomène naturel, Hadès, le dieu des morts. Chez les Anciens Grecs, il était possible de tromper la mort, comme ce fut le cas pour Hercule, Sisyphe, Psyché, Ulysse et bien d’autres encore. Cette « protection » n’est cependant qu’éphémère et improbable, elle n’appartient qu’aux héros. La réalité est plus cruelle : tous les hommes sont destinés à errer éternellement dans l’Hadès, monde des morts pour les rois tout comme les guerriers, les prêtres et le commun des mortels. Les Égyptiens offraient peut-être une meilleure préparation au passage dans l’au-delà : la momification, par exemple, garantissait au mort la préservation de son corps dans le monde des vivants. Pour les moins riches, la mort n’était qu’un simple test : il fallait réciter une prière tirée du livre des morts, puis si le cœur du défunt était plus léger qu’une plume, le dieu-crocodile épargnait son âme.
On retrouve plus tard cette conception de jugement dans le christianisme.
Il n’est pas difficile de s’imaginer que dans un monde où la mortalité infantile était extrêmement élevée, tout comme celle des accouchées et des malades atteints de la lèpre ou du choléra, chacun était conscient que la mort pouvait le guetter à chaque jour. Pour passer à travers ces épreuves, la religion faisait donc partie intégrale de la vie quotidienne. Il fallait être prêt, se confesser au prêtre, puis demander le pardon.
La foi ne pouvait cependant offrir qu’un soutien purement spirituel aux mourants. Elle se révélait impuissante face aux épidémies –je pense en particulier à celle de la peste noire, à laquelle a succombé plus du tiers de la population européenne entre 1347 et 1350, soit près de 25 millions de croyants, rois, prêtres, riches et pauvres.

Peu à peu, les hommes se tournent vers des moyens plus concrets pour se garantir une protection envers la mort, et il ne s’agit plus là de comprendre le phénomène métaphysique, mais physique. L’essor de la science au XIXème siècle entraîne des progrès considérables dans le domaine de la médecine. Les médecins deviennent les nouveaux prêtres et la lutte acharnée qu’ils livrent ne sauve pas l’âme, mais le corps.

Le temps et la science transforment la définition de la mort : ce n’est plus, comme l’expliquent les croyances des grandes religions monothéistes, la séparation du corps et de l’âme signalée spontanément par l’arrêt de la respiration; la mort est un diagnostic. Le diagnostic précoce est établi suite à la perte des fonctions organiques de l’appareil cardio-respiratoire et des fonctions cérébrales; le diagnostic tardif par la froideur cadavérique, la rigidité post mortem, la putréfaction. L’Homme constate les faits, réanime ce qui peut l’être. La mort n’est plus un fardeau qu’il faut redouter au quotidien. Les décès étant plus rares et moins redoutés qu’auparavant, comme le craignait l’ésotériste français René Guenon, « l’humanité régresse en ce qui concerne la spiritualité, l’Homme s’éloigne de plus en plus du caractère sacré de la mort. »
La science n’explique pas tout et surtout, elle n’offre de réconfort que dans cette vie. Pour l’au-delà, il y a toujours la religion, mais comme les gens sont de plus en plus instruits, ils ont de plus en plus de mal à croire aveuglément à ce qu’on leur inculque.
Ces limites de la science transparaissent notamment à travers un épisode de Dre Gray, leçons d’anatomie : la personnage principale, une interne en médecine, est en réanimation pendant plusieurs heures après s’être noyée. Après avoir été déclarée « morte et refroidie », c’est-à-dire qu’elle a acquis toutes les caractéristiques du diagnostic de mort précoce, elle revient néanmoins à la vie.

Cet épisode offre également une vision de la vie après la mort : l’au-delà est une copie exacte du monde des vivants, mais peuplé uniquement par les défunts. De nos jours, les œuvres de fiction qui traitent de la mort d’une façon ou d’une autre sont innombrables : il n’y a qu’à considérer un instant le nombre de films d’horreur et de films policiers. À treize ans, l’enfant américain moyen aura visionné plus de 100 000 actes de violence, dont 80 000 meurtres à la télévision.

Cette banalisation de la mort permet d’une manière ou d’une autre de se détacher d’elle, plus qu’elle ne permet de réaliser qu’encore de nos jours, elle peut être imminente et brutale (comme le démontrent d’ailleurs assez bien la série de films Destination Finale). Cette désillusion précoce aide, je crois, à notre tranquillité d’esprit, plongé dans une sorte de torpeur à la fois inconsciente et impertinente. Comme disait Ridley Scott dans le film Gladiator : « La mort nous sourit à tous; tout ce qu’on peut faire, c’est lui sourire en retour. »
On pourrait croire à première vue que les temps modernes auraient donc permis d’atteindre le summum de cette régression spirituelle dont parlait Guénon. Heureusement, c’est faux. De nombreux écrivains et cinéastes expriment une vision personnelle et fictive de la mort, à travers lesquelles nous la dépossédons de plus en plus de son caractère mystique et puisqu’elle nous est de plus en plus connue, de plus en plus familière, nous la craignons de moins en moins.
Le premier exemple d’une telle œuvre dans la littérature « moderne » serait par exemple le Faust de Goethe –le mythe du pacte avec le diable est l’exemple parfait de l’Homme qui détermine lui-même son sort dans l’au-delà. Le thème de la descente aux enfers, quant à lui, est encore très populaire depuis la Divine Comédie de Dante. On le retrouve notamment dans le dernier volume de la trilogie « À la croisée des mondes », dans lequel la personnage principale, Lyra, ouvre une porte permettant aux âmes tourmentées des défunts de disparaître définitivement et de retourner au néant.

À présent, comment achever un texte qui traite d’un sujet tel que la mort? Pouvons-nous encore nous permettre de douter que la « vérité » ne se trouve pas parmi toutes les théories, les religions, les philosophies et les œuvres de fiction de toute l’Histoire de l’humanité? Difficile à croire, mais il faut néanmoins admettre que c’est très possible. L’être humain aura beau imaginer tout ce qu’il voudra, voir des manifestations surnaturelles dans le monde qui l’entoure et tenter d’expliquer de manière concrète ou abstraite sa vision de la mort, la vérité est que nous n’en savons rien. Pourquoi craindre autant ce à quoi nous sommes tous prédestinés? Comme l’a écrit Jean-Paul Sartre dans La Nausée,

« L'instant qui vient peut être celui de votre mort, vous le savez et vous pouvez sourire : n'est-ce pas admirable ? Dans la plus insignifiante de vos actions, il y a une immensité d'héroïsme. »

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