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Le chat, Sir du royaume des unis.
prose [ ]

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by [Célé ]

2023-01-14  | [This text should be read in francais]    | 



Comme par le passé… Fleurette… Qui lui allait si bien…
Elle te baptise : Drinou.
Quel âge as-tu : quatre, cinq, six mois ? Mais pas plus.
Fleurette et toi : comme vous vous ressemblez ; comme deux empreintes d’eau, comme deux gouttes de chat.
Non, d’un autre chat je n’en veux pas. Elle te ramène aux sources de ta perdition, à l’endroit même où elle t’a trouvé. Je me mets à la fenêtre du salon pour attendre son retour. Elle revient, seule, et va s’asseoir sur le muret en face.
« Alors, tu l’as laissé où ? »
Elle me fait un signe de la tête. Tu apparais au coin de la rue Jean-Jaurès, la démarche hésitante, encore mal assurée mais suffisante pour t’emmener jusqu’à la porte de l’immeuble. Tu as trouvé en elle une bouée de sauvetage. Les griffes rentrées, de peur de la déchirer, avec la crainte de la voir disparaître, tu guettes l’étoile du salut. Elle passera devant toi, tu n’en doutes pas. Cette lumière-là de cette étoile-ci, si elle venait à disparaître que deviendrais-tu en cette fin d’après-midi de ce mois d’août. Recroquevillés en toi-même, tes os : des proies, mages éventrés à la table des Troisgros… L’agneau que Dieu vêle dans la bergerie des cent soucis.
Que serais-tu devenu ? Des hosties tièdes et, d’heure en heure, le haut et le bas dans l’horloge de la nuit. Du pluriel des frissons, le soir tomberait son masque de loup. Petit chat-peron rouge, ensanglantée serait ta patte de velours si tu devais marcher sur les tessons de bouteille collés comme des plumes sur le goudron du trottoir. À la table des Troisgros : trois étoiles. Sans la tienne. Ton étoile à toi, ton étoile de Bethléem, elle est là, perchée sur un amas de douceur. Les poussières qui s’en dégagent font frissonner tes moustaches et, l’amour qui te guide, fait frémir ton corps sous ton pelage.
« Monte-le donc ! » dis-je à ton étoile. Moi, le père sans nom d’un ciel sans descendance. Sans ton poil dans le nez, sans son cheveu sur ma langue. Santon et Samson sur l’artère de la vie, mon histoire n’aurait pas eu le même sang.

Toi aussi, tu pars avec nous. Toi aussi, tu reviens avec moi. Un aller-retour différent des autres. Désormais la brillance des choses n’aura plus la même valeur.

Je déteste le mois de septembre, moi qui aimais tellement la pluie, le vent du soir dans la forêt grelottante, le silence qui le suit. Je hais, maintenant, le froid qui s’installe dans la yourte embuée des souffles sibériens, l’humidité des jours qui pleurent comme des souvenirs mêlant coliques et diarrhées aux feuilles mortes des automnes qui tombent dans la cuvette dont les courants d’air font claquer le rabat. La porte claque.

Nous voilà de retour. Toi, dans ton panier à chat. Moi, planté dans des godillots troués comme un filet de basket, des semelles usées qui font perdre l’équilibre à l’être instable que je suis, qui me font glisser sur les larmes du souvenir dès que j’entrouvre la porte. Dans la maison demeure encore les parfums du dernier été, un fond de soleil rayonnant dans les cheveux de celles que j’aime. Heureux je l’ai été. Heureux je le serai encore pour peu que j’apprenne à aimer d’autres personnes qui me sont familières, d’autres choses, d’autres instants qui viendront plus tard. Je le sais aujourd’hui puisque le temps a jeté ses semailles. Les semences refleuriront d’autres étés, d’autres amours aussi fortes mais différentes. Toi le passé de mon histoire, je t’étale sur la table avec un rouleau à pâtisserie. Je t’étale aussi finement que ma dextérité le permet, aussi longuement que mes mains gauches adroitement travaillent la transparence pour y voir ne serait-ce que le commencement de l’âme. Je ne vois rien. Que m’importe. J’incorpore la levure du temps présent et je t’enfouis, passé de pâte, dans le four de mon cœur. Tu gonfles et je me souviens. Tu croustilles à me faire mal et je revis mes souvenirs.

Va, mon petit Drinou, va sur le balcon respirer l’air frais de l’automne encore ensoleillé, moi je reste dedans à me remplir la poitrine des odeurs du passé. Je fais le tour des chambres, des lits défaits, comme un acte de bravoure essuie avec le promeneur du silence un étang de plis où se perdent les os des vendeurs de glace, les gousses de vanille dans des gueules patibulaires, où j’entends déjà les patins des saintes glaces crisser sur le vitrail de l’œil qui fixe le lendemain. Alors je ferme la porte comme tombe une paupière lasse sur l’organe du remords. Monte sur la table, mon petit Drinou, viens renifler les épluchures dans le papier journal aux nouvelles pas fraîches mais quelle importance, les patates le sont. Découpées en lamelles fines je les plonge dans la friteuse. Je sors sur le balcon où tu te lèches une patte, la patte qui, elle-même, nettoie ta jolie petite gueule. Regarde les camions passer sur le viaduc de l’autoroute. N’entends-tu pas le vent de la Lorraine courir derrière eux ? Moi, je l’entends. Je l’écoute se glisser dans le lit du Rhône, se dresser avec l’aquilon pour s’étendre comme un maquis long où s’est perdu mon regard, le temps d’un battement de cils. La maison se transforme en une baraque à frites d’une fête foraine qui s’installe au milieu des épluchures tombant en autant d’appendices que ma mémoire puisse compter de jours heureux. Elles tombent dans la poubelle au couvercle rabattable. Dans ma boîte crânienne, les idées, elles aussi vacillent, puisque l’air vicié puis irrespirable les empoisonne lentement.

Je caresse une pieuvre à anneaux bleus sur le dos d’une salamandre. Je bois le venin des mygales mères et des vipères scorpions qui guettent mes veines de l’infrarouge à l’ultra violet. Je bois leurs sucs empoisonnés. Je lèche la peau du diable. Les faux reins démontent les os des manèges des ans chantés par des voix d’enfants prisonniers dans les bulles des poissons clowns qui crèvent d’ennui dans le bocal des larmes inutiles.

La porte claque derrière nous, mon petit Drinou. Je respire les parfums enlacés par les ombres des absentes qui danseront pour moi pendant quelques jours encore. Toi, tu renifles la gamelle que j’ai remplie en arrivant. Tu te remplis la panse. Et moi je pense…

Aux 18 ans (de ce plus tard qui viendra à point nommé) désormais entièrement femme, comme un air de liberté. Je me réchauffe aux braises de septembre nourrissant le feu de sa présence future, des retrouvailles que j’imagine abondantes. Alors je brûle ma mémoire au milieu des parfums qui demeurent encore ici. Je respire distinctement le sien à nul autre pareil. Drinou, tu vides la gamelle pour remplir la litière. Je vide ma vie aux années pleines passées à l’attendre. Je sais qu’elles seront nombreuses. Je sais. Mais je suis le présent. Le présent, c’est ce porte-monnaie, sur le buffet avec, à l’intérieur, les clés de la maison là-bas. Le présent, c’est hier dimanche matin, attendant le serrurier. Pour parfaire l’ambiance rien de tel. Déjà qu’elle n’était pas bonne. Le présent, c’est sa mère qui râle une fois encore. Une fois de trop. L’engueulade, le départ précipité. Une fois encore. Une fois de trop. Et me voilà, mon petit Drinou, dans la cuisine en ce septembre 2004, tenant d’une main tes caresses, de l’autre ce porte-monnaie oublié. Une clé qui n’ouvrira aucune porte. Une clé bâtarde à coucher dehors. Des tickets de magasin, deux pièces de 1 euro, une poignée de centimes : l’héritage de l’amour.

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