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La kermesse du village
prose [ ]

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by [Célé ]

2023-03-17  | [This text should be read in francais]    | 



Elle est là, devant moi comme une chienne dans un jeu de quilles.
J’ai envie de fuir…
Je reste.

La kermesse d’un village de montagne : un champ aux lumières multicolores, un samedi soir en fête.
Leur fête, pas la mienne.

Je me dissimule dans mon ombre.
Mon ombre se fond dans la nuit.
Je sais que la nuit est triste, éblouie par leur arc-en-ciel artificiel.
Elle a peur du jour, je la console.
De mon âme ténébreuse, je la couvre, je la protège des éclats de rire qui la terrorisent, je veille sur elle.
Elle tient le soupir qui me délivre au bout d’une éclipse de Lune.
Sa pleine lune est une torche, au bout du couloir de la mort, qui m’éclaire le crâne comme une citrouille évidée de sa chair, qui me tient à distance respectable de la pourriture qui germe en moi.
Pour l’heure, la générosité de mes sentiments est un bagage de peu de poids.
Dans mon for intérieur, la nuit est ma reine, le pont-levis qui m’empêche de tomber dans le vide des envies dévastatrices.
En elle, mes rêves sont rois ; la vengeance, une balance étalonnée avec précision par le juste marchand hautement qualifié.

Le champ se vide.

Seule la buvette fait une piteuse résistance.
Elle rend les armes.

Je retire de la nuit, sans lui faire mal, le sparadrap qui la protégeait de leurs feux de joie.
Je reste seul avec elle.
Même les étoiles tardent à briller, comme un signe de compréhension.
Je m’allonge, les étoiles me recouvrent d’un plaid incrusté de diamants finement taillés, aux arêtes arrondies comme des caresses amicales.
L’herbe a une odeur de cidre.
La rosée tamise les tessons des bouteilles, elle m’imprègne, elle m’enivre, elle me colore d’une encre magique…
Mon petit doigt me dicte des noms d’oiseaux, des mots de putain inconnus à mon vocabulaire…
Le majeur se dresse comme une tombe profanée dans un nid de serpents.

Le jour se l’Ève.
La nuit l’habille piteusement.
Une pomme tombe…
L’aube Adam… sa gorge un trognon emmuré de dents…
Dedans un aquarium gigantesque…
Gargantuesque…
Où l’empreinte des dieux se confond avec les griffes du Diable.
Le succube vient à moi…
Je dévore la nuit.
Rassasié, je me couche avec elle.
Elle m’enveloppe de son linceul incandescent.

Je suis le phare d’Alexandrie, le barracuda d’Alexandra…

J’illumine de ma mémoire ces récifs qui taillent les lendemains dans la corne du rhyton que le satyre conserve entre ses lèvres.
Mon souffle, en lui, de son haleine ébaubie, choit sur un banc de sardines au relent méphitique.
Sa gueule est la jumelle d’une patrie qui me vomit.
Je lui rends la pareille : une gerbe d’aconits…
Des tue-loup fleurissent dans la bergerie où des hâtelets d’agneau incisent le scrotum des testicules qui gigotent dans le berceau d’une libido orpheline.
Dans la crypte de ce présent qui se gave de souvenirs désenchantés, je ne cherche pas l’hymen de l’agnelle mais le mouton mort.

Je suis un phare qui tangue sur une lame de rasoir.

La tempête, au clair de lune, largue les amarres de mes illusions comme un poisson
mort dans le lit du fleuve.

Je suis un fard sur l’ajout de cette tristesse que mes pensées illusoires versent dans la cocotte-minute où mon cœur bout de tout son sang, où mes yeux pleurent à chaudes larmes, où la rosée m’installe son lit mouillé.
Je me couche auprès de cette amante qui fait l’amour avec la nuit et non avec le jour.
N’étant ni l’une ni l’autre, je masturbe mon envie de dormir, solitaire dans un vert bouteille.

L’incube pénètre mon sommeil…
J’ai mal, j’ai froid…

Je me réveille…
Sans avoir vraiment dormi.

La rosée imprègne mes vêtements d’une odeur de cidre qui saoule mon pauvre matin.
Leur fête me laisse un goût amer au bout de la langue, quelques herbes collées à mes cheveux, quelques quilles que je ramasse pour reconstituer le casse-tête de mon être dans la salle de bowling où les lamentos des champs de blé noir se couchent au son des oiseaux nocturnes.
Un collier étrangleur enserre mon cou jusqu’au naufrage de la nuit sur la pointe du jour.
Les étoiles mortes de désuétude tombent, devant mon obsolescence, dans les douves qui séparent leur globe terrestre de mes globes oculaires.
Elles guident, de leurs scintillements qui s’émoussent inexorablement, l’aveugle que je suis, elles me montrent le chemin à ne pas suivre.
Inhumainement, mes pas descendants l’empruntent.
Je quitte la montagne du crépuscule précédant un soir de fête.
Je renonce à ce matelas éponge gorgé de rosée sans déranger les songes de mon jumeau, l’indifférencié qui respire mon propre air, qui nettoie la salissure de mes rêves pour rendre l’aspect de son gémeau plus acceptable, horoscopique dans l’air du temps présent.
Je le plonge, délicatement, dans le berceau de mes illusions.
Je le promène entre l’aube et l’aurore…

La Seat 600 qui vient à ma rencontre ne jaillit pas de l’irruption de la providence :
je suis son but.
Ils me cherchaient.
Ils m’ont vu.
Ils viennent à moi.

Ils : un cousin plus un oncle.

Ils ont vu Moi mais pas mon jumeau dans le berceau.
Ils l’écrasent.
Maintenant je suis seul, blessé, enseveli sous les décombres de mes illusions.
Maintenant ils m’engueulent…
Mais je sais leurs palabres empruntent d’inquiétude et non de colère.
Je comprends leur affolement.
Maintenant mes mal-être se taisent.
La bouche close, je regagne la maison des quatre vaches.

Maintenant, de ma placidité bovine, dans la maison au-dessus des quatre vaches, je me couche comme un taureau castré, comme un bœuf qui tire le socle de mes fantasmagories intrinsèques.
La malle de mon jumeau, un espace stérile entre deux interstices en jachère durant le jour, devient un labour fertile que nous ensemençons ensemble, la nuit venue.
Lui, le sanguinaire, l’inhumain vindicatif…
Un parfait trompe-l’œil.
Moi, son contraire, son opposé antinomique…
Notre image désabusée.

Dans la malle, mon jumeau porte le haut-de-forme de Mandrake comme le Krakatoa étançonne de cendres et de feu sa cheminée dévastatrice.
Il se nourrit de mes ires ancestrales, d’une crise de goutte dont mon sexe est incapable d’expulser la première gouttelette.
Au téton de la Saint-Jean d’été, il allaite mes rêves.
Mes rêves qui demeurent indissociables à ce cœur greffé par inadvertance sur une stèle funéraire continuellement embrumée, semblable aux suies des maisons vides, éviscérées par un hiver sans fin.
Il fait battre mon cœur comme une crise de goutte fait battre le gros orteil, comme si un pied gangrené de cors de chasse marchait dans ma poitrine devant la meute de la pourriture…
Comme si, à bout de souffle, je m’écroulais sur mon cœur, l’ensevelissant d’un poids inerte à côté d’une mare de sang où gisent les rêves.

Dans la malle de mon jumeau, je suis comme un œilleton épiant le sexe de l’oisillon mort dans le nid de son propre avenir.

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